Patrimoine Châtillon-en-Diois

Georges Ladrey complément

vendredi 18 octobre 2019

Le peintre et le maçon

Visite de Francis Druart (professeur de philosophie, créateur de la revue poétique et littéraire « Relâche ») à Georges Ladrey

Dimanche 10 janvier 1999

Ladrey me demande un texte pour son exposition. Je pourrais évoquer le souvenir de ces années cinquante et soixante où, quand on allait « chez Ladrey », à l’heure de l’apéritif, on appelait d’en bas pour se faire ouvrir et ça répondait d’en haut, de la terrasse où Georges et ses amis étaient déjà installés, au frais, en train de siroter « le » pastis. On montait par un étroit escalier aux marches inégales, frôlé par les odeurs mêlées d’une ratatouille qui mijotait à mi-étage et du plâtre fraîchement gâché par le maître de maison sans cesse entre sa truelle et ses pinceaux.

La voile grise

Car il y avait toujours à l’étage le tableau en gestation qui n’avançait guère que par petites touches, une fois passé le solstice de juin, quand les frelons descendus de Paris envahissaient la ruche ladréyenne. Autour de lui, on refaisait le monde de la peinture, on devinait les racines qu’elle se cherchait dans ces lieux inspirés où l’hôtel parisien du Vieux Colombier regroupait Nallard et Maria Manton, Poliakov et Gillon, où Sénac avait ses petites entrées avant de s’installer en seigneur de la poésie dans sa Maison du Berger de Châtillon-en-Diois dans le bon voisinage de Georges (à deux ruelles, deux viols de chez lui).

A l’entrée de la terrasse, le cheveu pastillé d’éclaboussures de plâtre, les doigts encore ombrés par la terre de Sienne des ultimes touches au tableau, le peintre accueillait ses hôtes. Et l’on redescendait quelques marches pour estimer tout ce travail à faire pour rejointer un mur récemment décroûté, ou pour rebâtir le décor de cette dernière pièce où Georges avait été le premier, avant les acteurs, à occuper la scène du théâtre de Lutèce. Orfèvre, ç’avait été le premier métier de notre ami, et passées la première jeunesse et les années de Résistance où il avait rêvé de refaire le monde, notre ami n’avait jamais changé d’activité. Tout au plus d’objet puisqu’il s’installait dans une ruine, il n’avait de cesse, la rebâtissant, la décorant, d’en faire un joyau. On posait enfin le pied sur la terrasse, et si c’était le soir, aux premiers rougeoiements d’un couchant qui embrasait les falaises du Glandasse.

Sénac se souvenait qu’à la fonte des neiges les tumultes du Torrent de Baïn ébranlaient les berges sur lesquelles se regroupaient des maisons voisines. Formaient-elles un décor pour déclamer Lorca et Blas de Otero ? Tachia, qui, bien des années après, allait devenir la maîtresse de ces lieux, donnait à porter à la brise qui virevolte entre l’Ubac et l’Adret, les accents rauques de la poésie espagnole. Le sommelier de service remontait de la cave un Côte du Bez des frères Woerner pour les assoiffés qui, au pastis, préféraient le vin du pays.
Et l’on trinquait à la santé des artistes, des poètes, des comédiens, des philosophes, des bâtisseurs. Pour un monde meilleur.


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